Petite traversée des Ecrins

Publié le par manu


Barre des Ecrins : arête Nord-Est & traversée (Ecrins)
5 septembre 2007


J'ai toujours été fasciné par le massif des Ecrins. Il est pour moi le symbole de la haute montagne, devant le Mont Blanc et la Vanoise. Aucun autre massif français ne peut se targuer d'être aussi vaste et sauvage. Le principal inconvénient (enfin cela dépend pour qui) est que ce massif "se mérite", il n'y a guère que du côté de la Grave que l'on peut envisager une course à la journée, grâce au téléphérique... C'est pourquoi je le surnomme affectueusement le "massif des bavantes". Beaucoup de sommets évoquent pour moi une invitation au voyage, un besoin de venir y traîner mes crampons, tels la Meije, l'Ailefroide, le Pelvoux, le Sans Nom, l'Olan, la Barre et tant d'autres. Ne croyez pas que j'aime uniquement ces montagne du fait de leur altitude pour le moins élevée mais plutôt pour l'esthétisme qui se dégage de chacune d'elles. Je n'ai pas pour envie de les gravir juste pour mettre une croix dans mon calepin virtuel mais plutôt une envie d'aller sur ces sommets d'une manière esthétique, par un itinéraire qui vaut le coup, et la voie normale n'est pas souvent la plus belle façon de gravir un sommet. Certains diront que la Barre vaut le coup car c'est un 4000. Je ne suis pas attaché à cette notion d'altitude, je l'ai déjà dis, mais il se trouve que ce sommet est le plus accessible d'entre tous "les gros", et un des plus beaux aussi, en toute objectivité. D'ailleurs son nom actuel ne reflète pas vraiment la beauté de ce sommet, et je lui préfère pour beaucoup le nom que lui donnaient les anciens de la Bérarde : la Pointe des Arsines, voire les Ecrins tout court.
 

la "Pointe des Arsines" depuis le Glacier Blanc
  
  

Au début du mois d'août, j'ai répondu à un post d'un certain seb05 sur C2C qui voulait trouver des compagnons de cordée en vue de progresser en alpi. En effet mon habituel compagnon de cordée, Alex, est rentré sur Poitiers et j'ai hâte de repartir en montagne, et avant la fin de l'été si possible. On a été plusieurs à répondre et il fut convenu de faire une sortie tous ensemble d'un niveau peu élevé afin de mieux se connaître. Les conditions météo et l'indisponibilité de Seb n'ont pas permis cette sortie rapidement. J'ai cependant eu le temps de connaître Guilhem qui a répondu aussi mais là c'est une autre histoire (voir lien).

On se recontacte en septembre avec Seb et il m'invite à venir passer un jour ou deux chez lui. Ca se passe tout de suite bien avec lui et sa copine Julie (que j'appellerai Ju par la suite). On a pleins de points communs et les discussions vont bon train jusque tard dans la nuit. On tombe d'accord pour aller aux Ecrins mais par l'arête Nord-Est puis faire la traversée et éventuellement d'aller faire un tour sur le Dôme après. Ju ne se sent pas de venir. La météo indique beau avec du vent qui doit faiblir d'ici un ou deux jours. Nous décidons d'aller grimper en falaise le lendemain, où Seb se fera une belle frayeur, et de partir pour le refuge le jour d'après. Les sacs sont bouclés lorsque je m'aperçois que j'ai oublié mes guêtres à Grenoble : la loose, c'est bien la première fois que j'oublie quelque chose...!

Le jour venu nous embarquons après le déjeuner pour le Pré de Madame Carle, non sans faire un détour pour acheter une paire de guêtres (pas données d'ailleurs). Je découvre tout car bien que j'ai déjà fait plusieurs courses dans les Ecrins, je n'ai encore jamais mis les pieds du côté de Vallouise. Le petit hameau d'Ailefroide est au milieu d'un camping très sympa avec pleins de blocs ça et là au milieu des pins, et des grandes voies à gogo au pied de l'imposante masse du Pelvoux qui vient nous rappeler qu'on est bien en haute montagne. Arrivés au parking on vérifie les sacs et c'est parti. N'ayant pas de corde à double, on emporte une corde à simple, le problème c'est qu'elle fait 70m et pèse 5kg, on se relayera... On monte comme des balles jusqu'au refuge du Glacier Blanc et ensuite on calme le jeu et on admire la vue car demain sera une longue journée donc mieux vaut en garder sous le pied. Sur les contre-pentes du Glacier Blanc il fait bon, en altitude le ciel est bleu mais le vent est très présent, les 100 km/h annoncés par Météo France sont bien là, mais doivent tomber dans la nuit.

L'arrivée au refuge commence par un rituel que je commence à bien connaître et nous nous mettons à table. Le repas commence par la traditionnelle soupe, puis c'est pâtes-côtes de porc. Le gardien revient au bout de 5 minutes et demande si on veut du rab'. J'ai pas commencé mon assiette que je lui dit oui oui, ce qui fait soulever le sourcil de l'anglais en face de moi, "ah ces froggies doit-il se dire, toujours les yeux plus grand que le ventre...". Sauf que vingt minutes plus tard, deux assiettes vidées et alors que je racle le plat, il me regarde d'un autre oeil, et tout en conservant un certain flegme "so british" il n'arrête pas de me sourire...
Avant de filer au lit on vérifie les sacs car le réveil est prévu à 3h30 et c'est pas le meilleur moment pour voir s'il manque un truc. Et là je me rends compte que j'ai fait une grosse connerie car j'ai oublié un petit sac contenant mon collant Odlo et mes chaussettes de montagnes à Briançon : ZE boulette ! Pour le collant je mettrais mon short de grimpe avec lequel je suis monté au refuge mais pour les chausettes je me vois mal mettre des soquettes qui arrivent en dessous de la malléole et aussi épaisses qu'un mouchoir. Je vais voir le gardien, lui explique un peu gêné mon problème et il me refile un vieille paire qu'un gars a dû oublié. Elle a un gros trou sous le talon mais bon
je vais pas faire la fine bouche, surtout avec mes grolles estivales dans lesquelles j'ai déjà eu un peu froid parfois.

La nuit est agitée, surtout dehors où les rafales ne s'estompent pas et manquent de peu d'arracher les volets par moments, du moins c'est l'impression que ça donne. A 3h30 on file prendre une collation, tiens j'ai encore faim, c'est pas possible... et on décolle pour 4h15 environ, il fait -5°C. On est pas beaucoup à y aller, une quinzaine environ et nous sommes les premiers sur le glacier au pied du refuge, où l'on s'encorde. A cet endroit le glacier est nu et très crevassé. C'est le première fois que je dois faire face à ce genre de souci, ça craque de partout, donc on y va mollo, et en quelques minutes trois ou quatre cordées nous déposent comme si elles évoluaient sur un sentier. Peu après la neige recouvre le glacier et ça ne craque plus donc on reprends notre marche en avant... et on en redépose certains.
 

lever du jour sur Roche Faurio et le Glacier Blanc
  

 
Au pied de la face, le jour se lève, le vent semble diminuer, et par peur des séracs on prend tout droit au milieu, tout en obliquant vers la gauche. On est amenés à franchir des monstres crevasses, véritables cathédrales souterraines et on arrive au dessus de la brèche des Ecrins au pied d'un bombé gelé à 45° qu'il va falloir franchir pour atteindre l'arête Nord-Est. On en mène pas large surtout que les piolets n'ancrent pas beaucoup et on est tout content d'arriver au pied d'un dièdre-cheminée, passage-clef de la course et départ de l'arête. C'est aussi pour ça qu'on l'a choisie cette course, car la principale difficultée se trouvait au début et qu'ensuite, même si la fatigue se ferait sentir, les difficultés iraient decrescendo.
 

le jour se lève sur le bombé glacé à gauche et sur la face
  
   

A partir de là, on se pose la question de poursuivre ou pas car le vent n'a pas faiblit et on va maintenant devoir se balader sur une arête avec pas loin de 1000m de gaz par endroit sur la gauche et une pente à plus de 45° en glace à droite. Vu qu'on a que 800m de déniv' dans les jambes, qu'il fait beau, que ça à l'air bien, qu'on en a trop envie, ben on a décidé à l'unanimité de continuer. En fait je pense bien qu'il n'y aurait eu que l'orage pour nous faire renoncer... je sais c'est pas bien, mais c'est comme çà, du moins à ce moment là.
J'attaque la remontée du dièdre annoncé en 3c, une rigolade me direz-vous. Et bien avec les pieds à moitiés engourdis par le froid, le rocher humide ou gelé car on est en Nord, et avec les crampons, ben j'ai pas fait le malin. D'ailleurs je les ai quittés les crampons. Seb me rejoint non sans mal et là on était content que le plus dur soit passé... erreur ! La progression sur cette arête, assez peu parcourue donc assez péteuse, avec un vent à décorner les cocus, nous a semblée interminable : on a mis presque 4h30 pour aller au sommet. Il était impossible de progresser en corde tendue sans poser des sangles tous les cinq mètres, mais le pire c'est qu'on avait du mal pour se tenir debout, on ne pouvait pas lâcher le rocher sous peine de risquer de se faire embarquer tant le vent soufflait fort. Et puis ce sifflement perpétuel franchement ça gonfle ! Au sommet, nous nous sommes installés en face Sud et là, magique, on était à l'abri comme à une terrasse de café, c'était à peine si on entendait le grondement sourd des rafales qui se déchaînaient depuis la face Nord et qui passaient au dessus de nos têtes. Enfin du répit, on était bien. On s'est ravitaillés tant bien que mal car le froid nous a congelé les poches à eau et nous ne nous sommes partagés tels des morts la soif que quatre tasses de thé depuis le départ. Je sais, ce n'est pas sérieux, mais au moins on apprend.
 

depuis le sommet vue vers le Sud
 
 

La vue du sommet a ce truc, en plus d'être au dessus de tout ce qui est autour, de ne pas apercevoir la présence humaine. Pas une route, une ligne électrique rien. On a la même vue que Whymper lors de la première en 1864.  Ca c'est grand ! Ce qui est moins cool c'est que mon pote Seb commence à ne plus voir d'un oeil et sa vision est flouté pour le second. Ca craint, surtout que moi aussi j'ai un léger problème de flou à un oeil.
 

vue sur la Barre depuis le Pic Lory
 
 

C'est dur de devoir repartir dans la tempête tant on était si bien calés à l'abri, en train de se rechauffer au soleil. Mais on a un horaire à tenir et à ce rythme là on n'est pas arrivés, en plus on a pu reprendre des forces pour la suite. Go !
 

Seb et sa frontale...
 
 

L'arête est maintenant plus propre, on sent bien qu'elle est plus fréquentée, mais avec ce vent c'est toujours aussi pénible et la progression ne s'avère pas plus efficace, d'autant plus que l'on est en descente. Petite anecdote : Seb a coincé sa braguette et n'arrive pas à la défaire, si bien qu'il ne peut pas pisser. Une heure après je le vois s'énerver dessus sans pour autant y arriver, suspendu au milieu du vide. Là il craque, tombe le froc et pisse contre le rocher dans un grand aaaaahh de soulagement, ça fait du bien de rire un peu. Le thermomètre de ma montre indique -7°C alors que nous ne sommes pas à l'ombre, et avec un vent pareil, au moins 100 km/h en rafales mais y'avait que des rafales ce jour là, je vous laisse imaginer comme c'était agréable. On arrive tant bien que mal au niveau du rappel de la brèche Lory, il est environ 18h. Je dis environ car je ne m'en rappelle pas bien et cela fait maintenant belle lurette que je n'ai pas fait de photos, car c'est la guerre. Le vent te rend fou, t'as envie de péter un câble pour rien, tu sais que t'es en train d'exploser l'horaire et que des gens vont s'inquiéter mais pas moyen de les prévenir : le téléphone portable ne passe pas dans les Ecrins. Et Ju qui doit appeler le refuge vers 15h pour savoir si tout va bien, j'espère que le gardien n'est pas trop con, qu'il nous voit à la jumelle et saura la rassurer. Je me lance dans le rappel, le dernier, celui qui doit nous mener sur le glacier et qui donc marque la fin des difficultés. Je pars mais le vent s'engouffre dans la brèche avec force et je coince malgré moi un brin dans la face Sud. Je suis pendu, vingt mètre au dessus de la brèche, à me faire baloter par le zef qui arrache les bouts de glace collés sur la paroi et qui cinglent le visage lorsqu'ils sont projetés. J'ai beau gueuler, je ne vois pas Seb et il ne m'entends pas, je ne peux même pas libérer le rappel. C'est dans ces moments là qu'il est important de connaître son compagnon de cordée, car notre inexpérience nous à fait perdre un temps précieux. J'ai finalement reussi à me vacher sur la paroi, à libérer le rappel et lorsque j'ai apreçu Seb, à lui faire comprendre qu'un brin s'est coincé. Il parvient à le décoincer et à descendre à la brèche. Je le rejoins non sans mal. Plus d'une heure a passé.
Sur la brèche, on se sort les crampons mutuellement afin d'éviter d'enlever les sacs. Le vent, la fatigue, et l'ophtalmie de Seb lui font commetre une petite bourde car il relache mes crampons qui filent dans la pente et se perdent dans la rimaye. Ca aurait pu tout aussi bien m'arriver et je ne l'engueule même pas, à quoi bon ? Je descends jusqu'à la rimaye et récupère mes crampons qui par chance se sont enfoncés dans la lèvre de la crevasse, ouf ! On bascule définitivement dans l'ombre pour la redescente du glacier. On arrive pile poil dans la zone crevassé lorsque la nuit tombe, on galère encore pas mal et le gardien nous indique l'endroit pour remonter au refuge avec une torche. On est explosés, on s'arrête cinq ou six fois pour faire les 120m de déniv' qui mènent au refuge et le gardien en voyant nos gueule ne nous fait pas la leçon, ça fait plaisir, il est 22h passés. On téléphone à Ju pour la rassurer, on bouffe un truc vite fait et on file roupiller dans le dortoir des guidos. 
 

moi aussi je suis pas bien frais
 
 

La course est donnée pour 6h depuis le refuge, on a mis près de 18h, dont 13h au dessus de 3900m. Si on n'a pas explosés l'horaire.... Pour l'anecdote Seb n'a pas enlevé sa frontale de la journée, est-ce qu'il savait qu'on rentrerait de nuit ? Mystère...

On se lève le lendemain à 9h30, et oui c'est possible de faire la grasse mat' en refuge. On déjeune, on remballe et on file. La vue est belle, le vent moins présent et on se dit qu'on en a chiés quand même, mais qu'on reviendra certainement bientôt.
Et sans le vent !!!
 

Seb devant la trilogie "Pelvoux Sans Nom Ailefroide"

 
 
arête Nord-Est & traversée (4102m)
IV/PD+ (passage de 3c)
1000m
B0
 
 
 on a retrouvé l'péchon !
 

Publié dans Alpinisme

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N
C'est trop dommage que ce vent vous ait empécher de profiter de la course! c'est pourtant une magnifique sortie tres peu dure, nous on a adoré!
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